La fonte des glaciers accélère
Les glaciers de la planète Terre fondent à vitesse accélérée. Avec une perte de masse de glace d’environ 267 milliards de tonnes par an depuis l’an 2000. Un calcul effectué par une équipe internationale et publié demain matin dans la revue Nature.
L’accélération ? La perte totale de glace est passée de 227 gigatonnes (un giga égale un milliard) de glace par an entre 2000 et 2004 à 298 gigatonnes par an entre 2015 et 2019.
L’enjeu ? Outre les transformations géographiques locales – qui peuvent se révéler cruciales pour les agricultures dépendants des flux de fonte estivale – ces glaciers contribuent pour près de 20% à la montée du niveau marin actuelle due au changement climatique. Or, près de 200 millions de personnes vivent aujourd’hui sur des territoires qui seront sous la limite maximale des eaux (marées et basses pressions) d’ici la fin du siècle. Bref, un enjeu «crucial» pour «l’instabilité sociopolitique» notent les auteurs de l’étude.
500 000 images
L’équipe dirigée par Etienne Berthier au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (CNRS/CNES/IRD/Université Toulouse III – Paul Sabatier), a utilisé un jeu de données d’observations par satellite d’une ampleur sans précédent. Il couvre en effet la quasi totalité des glaciers de la planète (à l’exception des calottes polaires du Groenland et de l’Antarctique mais en incluant les bords de ces calottes), en montagne ou au bord de la mer aux plus hautes latitudes.
Le jeu de données constitue la première cartographie complète et précise des changements d’épaisseur, donc de masse, de (presque) tous les glaciers du monde – soit environ 220 000. Pour accéder à ce paramètre – l’épaisseur du glacier qui peut évoluer sur la période étudiée (2000 à 2019) jusqu’à zéro centimètre en cas de fonte totale – les glaciologues ont utilisé un fond de plus de cinq cent mille images prises par le satellite Terra. Un satellite de la Nasa, lancé en décembre 1999 qui orbite à 713 km autour de la Terre, en passant au dessus des pôles, ce qui lui permet d’observer toute la surface de la planète. Dite héliosynchrone, cette orbite a l’avantage de caler l’observation sur la même heure solaire, donc avec un éclairage fixe.
Un demi-milliard de pixels
Disposant d’un systèmes de caméras en lumière visible et infrarouge japonais (l’instrument ASTER), le satellite offre des images permettant de construire un modèle numérique de terrain pour chaque glacier, puis de mesurer son évolution dans le temps et donc celle de son épaisseur. Si des études ont déjà abordé ce sujet, celle publiée dans Nature les dépasse de très loin par son exhaustivité ainsi que par sa précision spatiale et temporelle. Elle a permis de réduire considérablement les incertitudes sur la mesure du phénomène encore visibles dans le dernier rapport du GIEC sur l’océan et la cryosphère.
Pour s’assurer de la précision des mesures satellitaires, les glaciologues les ont comparé avec des mesures aéroportées. Puis concocté des méthodes statistiques capables de comparer automatiquement le demi-million d’images des glaciers – dont la surface totale équivaut à 20 fois la totalité des terres émergées de la planète) avec une résolution spatiale de 30 mètres en horizontal. Une idée de l’énormité du travail peut s’apprécier ainsi : pour chacun du demi-milliard de pixels de ces images, une comparaison a pu être fait, en moyenne, entre 39 observations distinctes au long des 19 années. En outre, les glaciologues ont pu comparer ces mesures avec 25 millions de mesures par le satellite ICESat de la Nasa et de l’opération Ice Bridge (une vaste campagne de mesures aéroportée de la Nasa).
Non synchrone
Les glaciologues ont confirmé que l’évolution des glaciers n’est pas synchrone sur l’ensemble de la planète. Dépendant certes de la température mais aussi des précipitations de neige, cette évolution peut fortement s’éloigner de la moyenne globale durant une période donnée. Si les précipitations augmentent plus que la fonte estivale et l’écoulement vers le bas (et donc vers de températures plus élevées) un glacier peut voir sa masse augmenter. Si, sur la durée séculaire, c’est la température qui va piloter la fonte globale, sur une décennie, les variations de précipitations peuvent soit accentuer cette perte ou au contraire la ralentir, voire la stopper.
Ainsi, durant les 20 dernières années, les glaciers d’Islande ont fondu nettement plus vite durant la période 2000/2004 qu’entre 2015 et 2019, une évolution aussi visible en Scandinavie et strictement inverse de la moyenne planétaire, due à l’évolution des températures et des précipitations dans l’Atlantique Nord. Dans l’Himalaya, les glaciologues ont observé la fin de «l’anomalie du Karakoram», avec une accélération de la fonte en fin de période.
Quant à la contribution des différentes régions à la perte totale, elle est aussi fortement contrastée. Avec 7 régions seulement, on atteint 83% du total, dont 25% pour la seule Alaska, 13% pour la périphérie du Groenland, 20% pour l’Arctique canadien.
Géographie économique
La fonte de la cryosphère est l’un des deux facteurs de la montée du niveau marin, avec la dilatation thermique des eaux, due au changement climatique provoqué par nos émissions de gaz à effet de serre. Les glaciologues ont calculé que la fonte des glaciers mesurée sur la période 2000 à 2019 correspond à une hausse de 7,4 millimètres par décennie, soit environ 20% du total observé. A l’échelle du siècle en cours, cette contribution sera donc significative, mais, à plus long terme, elle va diminuer au fur et à mesure de la disparition totale de nombreux glaciers de montagne, dans les Alpes et les Andes par exemple.
Cette disparition aura des effets majeurs sur la géographie physique et économique de ces territoires. Les plus inquiétants concernent l’alimentation en eau de fonte estivale des agricultures des hautes vallées, avec le changement de régime annuel des cours d’eau qui en dépendent. Le travail des glaciologues peut toutefois permettre de mettre sur pied des adaptations de long terme, pour la gestion des ressources en eau.
Quant aux conséquences de l’élévation du niveau marin, une récente étude en donne une idée locale : dès 2050, elle pourrait provoquer des migrations internes au seul Bangladesh de 1,3 million de personnes, chassées de leur lieu de vie par les inondations.
Texte: Le Monde
Publié le 30 AVRIL 2021