Facebook – Des documents internes de Facebook divulgués décrivent les enfants de 10 à 12 ans comme une « richesse inexploitée »
Facebook n’a pas encore tourné la page de la controverse suscitée par le développement du projet « Instagram Kids » qu’il doit déjà faire face à un nouveau scandale. Le Wall Street Journal (WSJ) vient de mettre la main sur des documents internes de l’entreprise qui montrent comment elle a étudié différentes possibilités pour exploiter les préadolescents en les considérant comme une « richesse inexploitée ».
Facebook estime qu’il était normal pour les entreprises de réseaux sociaux de faire appel à des personnes plus jeunes et comptait « tirer parti des rendez-vous de jeu » pour inciter davantage d’enfants à utiliser l’application Messenger Kids.
Facebook est l’une des entreprises les plus controversées ces dernières années et est régulièrement critiqué pour conduite scandaleuse. La dernière en date est une fuite de données qui met à nu divers plans de l’entreprise pour exploiter davantage les jeunes adolescents (âgés de 10 à 12 ans), ce qui donne encore plus de crédibilité aux allégations selon lesquelles ses plateformes sociales ont un mauvais impact sur la santé mentale des enfants. Les documents ont été publiés mardi par le WSJ et constituent le dernier volet de sa série d’enquêtes « The Facebook Files ». D’autres rapports ont également été publiés récemment par le média américain.
Ces enquêtes s’intéressent de plus près aux efforts déployés par le leader mondial des réseaux sociaux pour cibler et engager de jeunes enfants. Les documents de la dernière phase de cette série montrent que la société a formé une équipe chargée d’étudier les préadolescents, s’est fixé un objectif de trois ans pour créer davantage de produits à leur intention et a commandé des documents stratégiques sur les opportunités commerciales à long terme que présentent ces utilisateurs potentiels. Dans l’une de ces présentations, l’entreprise s’est demandé s’il n’y aurait pas un moyen d’impliquer les enfants pendant leurs rendez-vous de jeu (playdates).
L’équipe spéciale de Facebook a étudié les enfants et a réfléchi aux moyens de les monétiser. L’un de ces documents considère les enfants âgés de 10 à 12 ans comme un « public précieux, mais inexploité ». Ensuite, un autre document, daté de mars 2021, note que Facebook a du mal à atteindre la « pénétration globale des adolescents » et prévient que « l’acquisition » d’utilisateurs adolescents « semble ralentir ». Les pages de ce document indiquent que l’entreprise craignait de perdre du terrain face aux applications sociales concurrentes, telles que Snapchat et TikTok, qui gagnent en popularité auprès des adolescents depuis quelques années.
Un autre document indiquait que le nombre d’adolescents utilisant Facebook chaque jour avait chuté de 19 % au cours des deux dernières années. Les chercheurs ont en effet constaté que les enfants et les adolescents considéraient la plateforme comme un lieu réservé aux personnes âgées. « Facebook est pour les personnes âgées – âgées comme dans 40 ans », a déclaré un enfant de 11 ans aux chercheurs de Facebook. En interne, Facebook s’attend à ce que son audience adolescente chute d’environ 45 % d’ici 2023. Les recherches de l’équipe visaient donc à éviter cela à inciter les enfants à utiliser l’application Messenger Kids lorsqu’ils sont avec leurs amis.
L’activité lucrative de Facebook, axée sur la publicité, tire la quasi-totalité de ses bénéfices du suivi omniprésent de ses utilisateurs ; des données que la société utilise à son tour pour créer des profils de comportement exhaustifs utilisés pour « microcibler » les publicités et mesurer leur efficacité. En fait, alors que la loi fédérale interdit la collecte de données appartenant à des enfants âgés de moins de 13 ans, Facebook a passé des années à chercher un moyen de convaincre les enfants d’adopter ses services dès qu’ils sont en âge d’être suivis. L’équipe note d’ailleurs dans l’un des documents que les enfants découvraient Internet dès l’âge de 6 ans.
« Imaginez une expérience Facebook conçue pour les jeunes », peut-on y lire. Cependant, après la publication du rapport par le WSJ, Facebook a nié les allégations et a déclaré qu’il s’agissait d’une tentative pour nuire à l’entreprise. Dans une déclaration publiée sur son blogue, Facebook a déclaré que le rapport du WSJ n’était « rien de plus qu’une tentative de recycler des rapports précédents ». « Les sociétés qui opèrent dans un espace hautement concurrentiel – y compris le Wall Street Journal – font des efforts pour attirer les jeunes générations », a déclaré Facebook, ajoutant que l’entreprise fait de son mieux pour éviter ces agissements.
« Considérant que nos concurrents font la même chose, il serait en fait digne d’intérêt pour les nouvelles que Facebook ne fait pas ce travail », a-t-il ajouté. Dans sa réponse, Facebook a déclaré que le langage qu’il avait utilisé autour des playdates était mal formulé. « Malheureusement, le langage que nous avons utilisé était une manière insensible de poser une question sérieuse et ne reflète pas notre approche de la création de l’application. Cela faisait partie d’une recherche visant à mieux comprendre comment les familles et les enfants utilisaient l’application Messenger Kids afin d’améliorer leurs expériences avec celle-ci », a-t-il déclaré.
Par ailleurs, Facebook a récemment fait l’objet d’un examen approfondi après que le WSJ a rapporté – toujours dans le cadre de sa série d’articles sur la société – que les équipes internes d’Instagram étaient conscientes que la plateforme causait des problèmes d’image corporelle chez les adolescentes. Un rapport d’étude de Facebook contient les déclarations suivantes sur Instagram : « Nous aggravons les problèmes d’image corporelle pour une adolescente sur trois ». Le rapport d’étude indique également que certaines adolescentes avaient fait remonter leurs propres idées suicidaires à leurs expériences sur la plateforme.
Une fois de plus, Facebook a fait valoir que ce rapport du WSJ contenait des « déformations délibérées ». Il a affirmé que cette ligne de l’étude était trompeuse et que la conclusion ne s’appliquait qu’aux « adolescentes qui ont dit avoir des problèmes d’image corporelle et qui ont déclaré que l’utilisation d’Instagram les faisait se sentir plus mal, et non à une adolescente sur trois ». Le rapport a conduit les législateurs démocrates à demander au PDG Mark Zuckerberg de mettre fin au projet Instagram Kids, affirmant qu’ils pensaient que l’application « représente une menace importante pour le bien-être des jeunes ».
Facebook a contesté la caractérisation par le WSJ de ses recherches sur Instagram, mais a jusqu’à présent refusé de les mettre à disposition pour examen, et s’est efforcé de faire échouer les recherches indépendantes sur le fonctionnement interne de ses plateformes, en général. Lors d’une conférence qui s’est tenue lundi, Nick Clegg, responsable de la politique de l’entreprise, a déclaré que Facebook allait publier deux jeux de diapositives internes résumant ses recherches « à la fois pour le Congrès et pour le public dans les prochains jours ». Instagram a annoncé dans la même journée qu’il mettait le projet « Instagram Kids » en pause.
Facebook et sa filiale Instagram ont tous deux des limites d’âge sur leurs plateformes, ce qui signifie que les enfants de moins de 13 ans ne sont normalement pas censés les utiliser. Alors, pourquoi fait-il toutes ces recherches sur les préadolescents ? Une sous-commission du Sénat présidée par le sénateur Richard Blumenthal a organisé une audition à 10h 30 (heure de l’Est) ce jeudi pour examiner les résultats des recherches internes non partagées de Facebook. Antigone Davis, responsable mondiale de la sécurité chez Facebook, devrait témoigner.
Texte: Anguilles sous roches
Publié le 1er OCTOBRE 2021