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L’optogénétique : redonner la vue et contrôler les comportements [Vidéo]

L’optogénétique : redonner la vue et contrôler les comportements [Vidéo]

L’optogénétique est un domaine de recherche et d’application associant les techniques de l’optique à celles de la génétique. Elle permet, par une stimulation lumineuse, d’altérer spécifiquement et localement un nombre limité de cellules modifiées génétiquement pour y être sensibles, sans perturber directement l’état des cellules voisines.

Conceptualisée à la fin des années 1970, elle est consacrée par un mot dédié en 2006, puis élue méthode de l’année par Nature Methods en 2010. Les applications, en nombre croissant, incluent la cartographie fine des réseaux neuronaux, l’étude de leur physiologie et de leurs communications normales et pathologiques, et de potentielles interventions médicales restaurant par exemple l’audition ou la vision

Des chercheurs ont réussi à redonner partiellement la vue à une personne aveugle grâce à l’optogénétique.

Une technique prometteuse, mais qui ouvre aussi la voie à des avancées effrayantes.

L’optogénétique s’appuie sur l’insertion, dans la membrane d’une cellule nerveuse, de molécules sensibles à la lumière qui, sous l’effet d’une stimulation lumineuse, vont modifier l’état de polarisation de la membrane. Les neurones codant l’information en signaux électriques qui déclenchent la libération de neurotransmetteurs par la cellule nerveuse, et ces transmetteurs modulant l’activité des neurones appartenant même réseau, l’induction lumineuse du changement de polarisation revient à contrôler l’activité de la cellule modifiée et des cellules de son réseau.

Contrôler le comportement d’un être vivant, influencer ses souvenirs, ou encore le rendre agressif en éclairant l’intérieur de son cerveau. Toutes ces manipulations guère souhaitables pourraient être permises par une technique au nom barbare vieille d’à peine une quinzaine d’années : l’optogénétique. Mais celle-ci permet surtout des prouesses scientifiques et médicales. Comme rendre l’ouïe à un malentendant, et trouver des traitements prometteurs à la maladie de Parkinson. Pour la première fois, elle a donné́ des résultats prometteurs pour une application médicale.

Atteint de rétinite pigmentaire – maladie dégénérescente qui entraine une perte de la sensibilité́ à la lumière – un homme de 58 ans avait perdu la vue. Autrement dit, les neurones situés au fond de son œil n’étaient plus capables de capter la lumière, le rendant peu à peu aveugle. Quelques mois après une simple injection dans l’œil, il peut désormais discerner des formes, attraper des objets…

Et la lumière revint

L’optogénétique consiste justement à rendre à nouveau ces cellules sensibles à la lumière. Pour cela, on y insère le matériel génétique, c’est-à-dire le gène, de protéines dites « photosensibles ». Cela peut se faire directement, par injection, ou grâce à un virus inoffensif qui amène le gène jusqu’à la cellule. Celle-ci produit alors la protéine qui réagit à la lumière : c’est ce qui a permis au patient de retrouver partiellement la vue. Si le progrès est encore limité, notamment parce qu’il ne peut pas voir sans porter de lunettes et ne discerne pas les couleurs, l’avancée est drastique : ce type de pathologies qui rend progressivement aveugle n’a pour l’instant aucun traitement.

 

« C’est extrêmement encourageant : on n’a injecté qu’une faible dose dans cet essai, les futurs résultats pourraient être encore meilleurs », assure Serge Picaud, directeur de l’Institut de la vision.

 

Mais les ambitions de l’optogénétique ne s’arrêtent pas là. En temps normal, vous pouvez éclairer autant qu’il vous plaira des neurones, il ne risque pas de se passer grand-chose. Les yeux sont la seule partie du corps à comporter des cellules qui réagissent à la lumière – ce n’est pas par hasard si ce sont eux qui nous permettent de voir… Le reste des neurones ne s’active pas en présence de lumière, mais en fonction d’autres éléments particuliers qui les stimulent. Si on entend, certains neurones s’activent, et le cerveau traite l’information. Au toucher, d’autres prennent le relais. Des zones du cerveau servent à la mémoire, aux émotions, …

Révolutions des neurosciences

Et si on faisait en sorte que les neurones, normalement incapables de répondre à la lumière, le deviennent ? C’est ce que permet l’optogénétique. Il s’agit, comme pour les cellules de l’œil, d’injecter la même formule dans des neurones présents dans le cerveau. Eux aussi vont produire ladite protéine et devenir sensibles à la lumière.

Résultat :

Le neurone s’active lorsqu’on l’éclaire, et répond comme s’il l’avait été naturellement par une stimulation, par exemple le toucher. Mais quel intérêt ?

 

« L’idée est d’utiliser la lumière pour manipuler l’activité́ des neurones », nous explique Alexandre Mourot, chercheur de l’Inserm en neurosciences.

 

Il devient alors possible de contrôler les neurones, et donc potentiellement les comportements ou émotions d’un être vivant. On peut, au gré de la lumière envoyée, stimuler la zone du cerveau que l’on souhaite. C’est ce que des chercheurs font sur des souris. Imaginons que l’on sait qu’un endroit de l’encéphale est responsable des comportements de prédation, on peut décider de rendre les neurones qui s’y trouvent sensibles à la lumière. On les éclaire ensuite : la souris devient alors agressive, puisque les neurones qui s’activent lorsqu’elles chassent sont actifs.

Le champ des possibles est immense

Jouer sur la sensation du goût, simuler une douleur, un toucher… Après avoir injecté le cocktail et allumé la lumière, l’illusion est faite. On peut même jouer sur la mémoire.

 

« Elle est codée sous la forme d’un message électrique qui va de neurones en neurones », explique Alexandre Mourot de l’Inserm. « Par exemple, pour se souvenir d’un chemin que l’on a fait, on active à la suite différents neurones. Si on les rend sensibles à la lumière et qu’on les active ensuite, l’animal se souviendra alors automatiquement de son trajet ».

 

En allant plus loin, on peut imaginer stimuler les circuits du cerveau liés à ce trajet, et soumettre en même temps l’animal à un choc électrique. Peu à peu, il va associer ce chemin à sa peur. Et lorsqu’il fera réellement ce trajet, il sera pris de panique, alors qu’on ne lui fera subir aucun choc.

Largement de quoi nous effrayer à peu près autant que le rongeur de laboratoire !

Cartographie du cerveau

Mais restons pragmatiques : reste encore de nombreux obstacles avant que ces manipulations ne soient envisageables sur l’Homme. Eclairer des neurones suppose en effet d’envoyer de la lumière au cerveau, à travers le crâne. En effet, il faut au préalable que le gène de la protéine sensible à la lumière ait été́ introduit.

 

« On ne peut pas contrôler les neurones d’une personne lambda », précise ainsi Alexandre Mourot. De même, « la lumière que l’on utilise ne peut pas traverser le crâne, il faut l’amener localement », ajoute le spécialiste.

 

Impossible, donc, du moins pour l’instant, de contrôler un inconnu dans la rue en allumant une lampe torche au-dessus de sa tête – et heureusement. En revanche, d’autres avancées largement plus souhaitables pourraient voir le jour.

Ainsi, l’intérêt premier de l’optogénétique reste d’approfondir nos connaissances sur le cerveau.

 

« Le but n’est pas de créer des faux souvenirs ou de générer l’agressivité́, mais de comprendre et mettre en évidence les mécanismes derrière l’agressivité́ ou la mémoire, en « disséquant » les circuits neuronaux », explique Adrien Méry, chercheur en physique à l’Université́ Grenoble Alpes.

 

Le cerveau est probablement l’organe le plus complexe du corps humain : un immense réseau de presque 100 milliards de neurones connectés les uns aux autres.

  • À quoi sert chacun d’entre eux ?
  • Lequel active lequel ?
  • Est responsable d’un comportement particulier ?

« Ça nous permet de faire des cartes du cerveau, de savoir ce à quoi sert une zone », continue Alexandre Mourot. Comment ? En “éclairant” un neurone rendu sensible. On observe ensuite quels autres neurones sont activés, et répondent donc au premier. On peut ainsi activer spécifiquement une zone, et observer ensuite le comportement de l’animal.

 

Pour Serge Picaud, cette technique est une « révolution des neurosciences. On peut choisir de stimuler spécifiquement deux ou trois neurones : c’était impossible avec les autres méthodes », se réjouit-il.

 

La prise de drogues, ou encore des électrodes, permet aussi d’activer des neurones : mais la technique est beaucoup moins précise, et en stimule à la fois tout un groupe. Avec l’optogénétique, on peut choisir d’injecter la protéine qui rend sensible à la lumière uniquement dans un sous-type particulier. Mieux encore : en arrêtant la stimulation lumineuse, on stoppe également l’excitation du neurone.

 

« On peut faire des manipulations qui étaient jusque-là̀ impossibles », se réjouit Adrien Méry, chercheur au Laboratoire Interdisciplinaire de Physique de l’Université́ Grenoble Alpes.

 

De nombreuses avancées médicales

Ces connaissances sur le cerveau pourraient permettre de mieux comprendre des pathologies comme l’autisme ou la schizophrénie, et à long terme de développer des thérapies. La technique elle-même pourrait servir de traitement. Par exemple, on sait que la maladie de Parkinson est provoquée par une production trop faible de dopamine dans le cerveau.

 

« On stimulerait alors les neurones responsables de la production de dopamine grâce à la lumière après les avoir rendus sensibles, et ce avec une précision inégalée », continue le chercheur Alexandre Mourot.

 

Tout aussi étonnant, cela pourrait permettre de redonner l’ouïe à des personnes sourdes. On modifierait les cellules de l’oreille pour qu’elles soient stimulées par la lumière. Un appareil auditif convertirait les sons en lumière, permettant à l’oreille de les percevoir.

 

« Ces implants seraient beaucoup plus précis que les électrodes : la lumière, très focalisée, stimulerait les neurones en fonction du son », explique Serge Picaud.

 

Bref : l’optogénétique n’a pas fini de faire parler d’elle.

 

Bonus…

Time : 1 h 06 mn / [1/1]

Nos comportements, sentiments, souvenirs, émergent tous du fonctionnement cérébral, finement orchestré par l’activité des neurones qui dépend de signaux électriques. Par la technique d’optogénétique, l’on peut désormais, grâce à la lumière, activer et inhiber à volonté des neurones spécifiques, en observer les conséquences sur le fonctionnement cérébral et sur le comportement des individus. L’utilisation de cet outil adapté à la clinique ouvre également des perspectives thérapeutiques, notamment dans le cadre des maladies neuropsychiatriques.

 

Avec Laure Verret, maîtresse de Conférences – Université Toulouse III – Paul Sabatier – Centre de recherches sur la cognition animale.

 

Avec le soutien de l’INA

Texte: Aphadolie

Publié le 31 MAI 2021

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