Migrations – Le retour de la crise des réfugiés
Si le nombre de réfugiés arrivés en Europe a reculé d’un tiers l’année dernière, il aurait probablement progressé sans la pandémie. Un récent rapport de l’UE donne un aperçu de l’avenir : l’Allemagne en particulier doit se préparer à accueillir davantage de demandeurs d’asile.
Le nombre de réfugiés ayant demandé l’asile en Europe en 2020 a chuté d’un tiers. Ils ont été 485.000 à déposer une demande de « protection internationale », soit 32 % de moins que l’année précédente. Ce recul s’explique avant tout par les limitations de déplacements parfois strictes imposées durant la pandémie de coronavirus. C’est la conclusion principale du rapport annuel de l’UE sur l’asile, que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (European Asylum Support Office, EASO) a présenté mardi lors d’une conférence de presse en ligne.
Le rapport fournit un aperçu complet des évolutions et tendances actuelles en matière de migration. On peut y lire que, bien que le nombre de demandes en Europe ait globalement fortement diminué, la situation migratoire reste tendue. D’après ce rapport, il convient de s’attendre à une reprise des flux migratoires dès la fin de la pandémie. D’ailleurs, contrairement à la tendance générale, la situation s’aggrave dans certaines régions.
Ainsi, le nombre de réfugiés empruntant la si dangereuse route de l’Atlantique entre l’Afrique de l’Ouest et les Canaries a été multiplié par huit l’année dernière. En Roumanie, le nombre de demandeurs d’asile a plus que doublé en un an, la plupart des demandeurs provenant d’Afghanistan. L’Allemagne reste le pays européen ayant reçu le plus de demandes, et de loin. Un quart de l’ensemble des demandeurs d’asile d’Europe (122.000) y tentent leur chance. Cela représente un recul de 26 % par rapport à l’année précédente. L’Allemagne, la France (93.000, moins 38 %) et l’Espagne (89.000, moins 25 %) regroupent ensemble 63 %, soit près des deux tiers, des migrants de l’Union européenne. Loin derrière suivent ensuite la Grèce (41.000) et l’Italie (27.000).
Concernant les pays d’origine, le classement reste globalement inchangé par rapport à 2019. La plupart des réfugiés proviennent toujours de Syrie (70.000), puis d’Afghanistan (50.000), du Venezuela (31.000), de Colombie (30.000) et d’Irak (20.000). Les demandeurs de ces pays représentent les deux cinquièmes de l’ensemble des demandes d’asile reçues en UE.
Le nombre de demandeurs d’asile a fortement progressé en Roumanie (plus 138 %) et en Bulgarie (plus 64 %). La Slovaquie (22 %), la Croatie (15 %) et l’Autriche (dix %) ont également enregistré une augmentation. Ces chiffres montrent que la route des Balkans a encore été fortement empruntée l’année dernière.
Même le nombre de réfugiés syriens a diminué
La Roumanie, la Bulgarie, la Croatie et la Slovaquie sont avant tout confrontées à des migrants venus d’Afghanistan. En Autriche, la plupart des demandeurs d’asile proviennent, comme en Allemagne, de Syrie. En Allemagne, 33 % des demandeurs d’asile sont originaires de ce pays déchiré par la guerre civile, 35 % en Autriche.
Mais même côté syrien, où les perspectives d’un avenir meilleur restent nulles, le nombre de migrants a baissé. Alors qu’en 2019, 79.410 Syriens avaient encore demandé l’asile au sein de l’Union européenne, ils n’étaient plus que 70.195 l’année dernière.
Le nombre de migrants issus d’autres pays en crise a même parfois connu un recul encore plus important. Ainsi, le nombre de demandeurs d’asile afghans a diminué de 18 % (passant de 60.580 à 49.905), et celui des Irakiens de 38 % (passant de 32.470 à 19.915). La baisse du nombre de demandeurs venant du Pakistan, de Turquie ou de Colombie est tout aussi nette.
Cela signifie, hormis quelques fortes variations isolées, qu’en cette année 2020 marquée par le coronavirus, la baisse atteint environ un tiers pour presque tous les pays d’origine. Dans la mesure où une légère augmentation avait encore été enregistrée en janvier et février par rapport à l’année précédente, un lien peut être établi entre ce recul et les mesures de limitation des déplacements imposées dans les États-membres de l’Union européenne à partir de mars 2020 dans le cadre de la pandémie de coronavirus.
Les mesures barrières et de distanciation décrétées ont également eu un impact considérable sur le traitement des demandes dans les centres pour demandeurs d’asile et hébergements collectifs. La procédure Dublin, selon laquelle le demandeur d’asile doit être renvoyé vers le premier pays de l’UE dans lequel il a été enregistré, n’a presque pas pu être appliquée pendant la pandémie. Il y a eu environ 13.600 transferts Dublin, soit moitié moins que l’année précédente.
Les réinstallations, également appelées « Resettlements », ont presque entièrement cessé. Néanmoins, comme le constate le rapport, il a dans le même temps été possible d’accélérer le développement de solutions techniques dans le domaine du traitement numérique des demandes d’asile. Il est également possible que la crise du coronavirus ait donné un élan à la digitalisation en matière de gestion des frontières au niveau européen.
Le rapport s’attarde sur l’accueil réservé aux « demandeurs vulnérables », c’est-à-dire notamment les mineurs non-accompagnés, les femmes seules et les représentants de minorités. L’année dernière, 14.200 des 485.000 demandeurs d’asile de l’UE étaient mineurs, soit 3 %. Parmi eux, 90 % étaient des garçons, à 41 % en provenance d’Afghanistan.
Le rapport constate par ailleurs qu’il conviendrait de fournir davantage d’efforts afin de protéger les femmes et jeunes filles en cours de procédure d’asile des abus et de la traite d’êtres humains. Pour ce qui est des personnes issues de la communauté LGBT, il devrait être pris en compte qu’en raison des traumatismes vécus dans leur pays d’origine, ces personnes peuvent avoir peur de parler ouvertement durant la procédure.
Les auteurs du rapport estiment que, malgré une plus faible mobilité en 2020 en raison du Covid-19, les flux migratoires devraient à nouveau gonfler dans un avenir proche. Le recul global de plus de 30 % en 2020 a en effet suivi des mois de janvier et février 2020 durant lesquels l’UE avait enregistré une augmentation de 10 % par rapport à 2019. Le signe, selon le rapport de l’EASO, que sans la pandémie, le nombre de réfugiés aurait été plus important en 2020 qu’en 2019.
Au vu des nombreuses régions en crise dans lesquelles les violations des droits de l’Homme sont monnaie courante et où les crises économiques et politiques impactent le quotidien des habitants, il convient de s’attendre à ce que les flux migratoires vers l’Europe se poursuivent et même se renforcent.
Les importantes disparités concernant la capacité des différents pays à atténuer les conséquences de la pandémie pourraient encore renforcer cette tendance. L’EASO considère le long débat entretenu en septembre 2020 au sein de l’UE autour du Pacte sur la migration et l’asile comme une avancée significative, mais ne cache pas qu’il reste de nombreux chantiers importants à mener pour atteindre une politique commune de l’asile plus efficace.
Du moins d’un point de vue administratif, Bruxelles a annoncé une victoire peu après la présentation du rapport : le Parlement européen et le Conseil ont convenu de faire de l’European Asylum Support Office une nouvelle agence de l’asile européenne. Ce changement devrait renforcer cet organe et lui permettre d’élargir ses compétences. L’agence devrait à l’avenir contribuer à harmoniser et accélérer les procédures d’asile en Europe. La Commissaire européenne chargée des Affaires intérieures et de la Migration, Ylva Johansson, s’est montrée satisfaite : « Le nouveau Pacte sur la migration et l’asile est en marche. Partout en Europe, les décisions en matière d’asile doivent être prises de manière rapide et juste. Et nous avons également besoin de règles d’accueil strictes et convergentes dans tous les États-membres ».
La nouvelle agence contribuera à atteindre cet objectif sur la base de l’excellent travail de l’EASO. « Cela nous aidera à passer du mode crise à un état de préparation et de réactivité », a souligné la commissaire. À vérifier lors de l’arrivée des prochains réfugiés.
Texte: Le Figaro
Publié le 02 JUILLET 2021