Production de vaccins : ces défis que l’Afrique doit relever pour être autonome
L’Afrique ne fabrique qu’un pour cent des vaccins nécessaires à ses 1,3 milliard d’habitants, selon le Centres africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique).
Le tableau est tout aussi déséquilibré du côté de la recherche et du développement : seuls 2 % des essais cliniques de vaccins ont lieu en Afrique, et la plupart d’entre eux sont réalisés dans trois pays seulement, indique le CDC Afrique.
Réunis en avril de cette année, les dirigeants africains ont insisté sur le fait que le continent ne pouvait continuer à dépendre de la bonne volonté des autres. Le CDC Afrique s’est fixé un objectif ambitieux, à savoir que le continent fabrique 60 % des vaccins dont elle a besoin d’ici 2040.
Pays sur la bonne voie de production de vaccins
Certains vaccins sont utilisés en Afrique et ailleurs depuis des décennies, par exemple ceux contre la polio et la fièvre jaune.
L’Afrique abrite d’ailleurs l’un des quatre endroits au monde qui fabriquent le vaccin contre la fièvre jaune : l’Institut Pasteur de Dakar, au Sénégal.
Mais au total, il y a moins de 10 fabricants africains qui produisent des vaccins et ils sont basés dans cinq pays : l’Égypte, le Maroc, le Sénégal, l’Afrique du Sud et la Tunisie, selon l’Organisation mondiale de la santé.
“Le Maroc produit par exemple tous les vaccins des programmes élargis de vaccination”, révèle Pr Eva Marie Coll-Seck, ancienne ministre de la santé du Sénégal.
“Il faut qu’on fasse ce qui est possible parce que nous avons aujourd’hui beaucoup de pays qui ont montré leur capacité à produire des vaccins”, poursuit-elle. “Il y a le Nigéria, l’Afrique du Sud, beaucoup de pays qui, même s’ils n’ont pas encore l’industrie en place, sont en train de mettre en place des plans de production”.
“Les gens ne feront rien pour nous et ne le feront pas à notre place. C’est à nous de vraiment prendre les choses en main. Aujourd’hui, beaucoup d’appuis peuvent venir”, souligne-t-elle.
Qu’en est-il des vaccins du COVID-19 ?
L’Algérie travaille à la production du vaccin Spoutnik V avec la Russie. Lotfi Benbahmed, le ministre de l’Industrie pharmaceutique, a annoncé en début avril que l’Algérie sera prêt a produire en septembre 2021 le vaccin russe contre le Coronavirus.
Selon le ministre, le groupe Saidal va fabriquer le vaccin en partenariat avec le laboratoire russe Gamaleïa qui a originalement conçu le vaccin.
Tout ceci ne sera possible qu’à la suite d’un transfert de technologie à travers une plateforme numérique sur laquelle les chercheurs algériens pourront avoir accès à toutes les données nécessaires à la fabrication du vaccin Spoutnik V.
Le Nigéria s’est aussi lancé sur cette voie, mais prévoit d’aller plus loin en développant son propre vaccin Covid-19. L’annonce est faite en janvier dernier par Osagie Ehanire, le ministre nigérian de la Santé, lors d’une conférence de presse.
“Nous utilisation pas l’artémisia en Centrafrique et il n’y a pas eu de commandes”
Il a révélé que le géant anglophone d’Afrique a mobilisé 25 millions de dollars (13 539 136 000 FCFA) pour mettre au point au moins deux vaccins locaux contre le Covid-19.
Pour tenir son pari de faire vacciner 140 millions de personnes sur une population totale de 200 millions d’habitants, le Nigéria envisage même à défaut de produire des vaccins sous licence, comme l’a fait l’Inde avec l’Université d’Oxford, pour l’AstraZeneca.
Toutefois, malgré ces ambitions et bonnes volontés affichées, ce serait un processus complexe.
Quelles sont les étapes de fabrication d’un vaccin ?
Il est utile de comprendre d’abord le processus : comment un vaccin passe-t-il de l’idée dans l’esprit d’un chercheur au flacon physique que vous trouverez peut-être chez votre médecin ?
Le Professeur Sow nous l’explique en cinq phases :
- La première étape, c’est la phase exploratoire, qui dure normalement entre 2 à 5 ans et qui se déroule uniquement dans les laboratoires de recherches, pour voir s’il y a une réponse immunitaire à un niveau moléculaire.
- La phase suivante, c’est celle préclinique qui dure aussi 2 ans en moyenne et durant laquelle on teste le vaccin chez les animaux pour voir la tolérance qui est l’élément essentiel à ce niveau, et voir si potentiellement l’être humain peut supporter le vaccin. “Tout ce qui peut tuer un animal peut également tuer un homme”.
- La troisième phase, c’est la phase de développement que beaucoup d’entre nous connaissent très bien. Cette phase a aussi des sous-phases : il y a la phase 1 où un petit groupe d’hommes va recevoir le vaccin pour également voir la tolérance. Ensuite il y a la phase 2 où on augmente un peu la taille de l’échantillon, le nombre de personnes qui vont recevoir et puis on verra les aspects démographiques et connaitre l’âge, le sexe, etc. et puis l’état de santé. Ensuite, on passe à la phase 3 où on augmentera le nombre de personnes jusqu’à des milliers. Ce qui permettra de voir l’efficacité et la tolérance du vaccin.
- L’avant dernière phase est la phase de règlementation et ça peut consister à soumettre les données de ces effets de développement de toutes les autres phases aux autorités règlementaires qui vont les étudier et bien analyser la tolérance d’abord, l’efficacité pour voir si on peut utiliser le vaccin à grande échelle, chez les populations.
- La toute dernière phase est donc la phase de “manufacturing” qui va utiliser des spécialistes qui vont réguler et faire en sorte que ces vaccins soient fabriqués de façon continue et monitorés de façon continue.
“En somme, l’ensemble de ces phases peut durer à peu près 10 ans en moyenne. Mais, il faut reconnaitre que beaucoup de vaccins vont jusqu’à la phase 4 de façon formelle. Et à partir de la phase 3, ils obtiennent leur approbation. Ils ont leur licences et sont mis sur le marché et autorisés à être utilisés à grande échelle”, renseigne Pr Samba Sow.
Pour arriver à produire, et même déveloper, ses propres vaccins, l’Afrique doit relever un certain nombre de défis.
“La production de vaccins demande beaucoup d’exigences, beaucoup d’expertise locale, de connaissances, de recherches et de patience”, dit le professeur Samba Sow, directeur général du Centre de développement des vaccins du Mali et l’un des Envoyés Spéciaux de l’OMS sur le Covid-19.
Interroge par notre émission Au Coeur de L’Actu, des experts africains citent trois points principaux : une action gouvernementale coordonnée, des investissements judicieux et une collaboration forte.
Le but serait par exemple d’arriver au niveau de l’Inde qui dispose d’infrastructures et d’usines qui lui permettent de sous-traiter avec les grandes firmes pharmaceutiques.
“Il suffit maintenant qu’il y ait une vraie volonté politique, qu’on écoute les scientifiques et qu’on les laisse faire et la production se fera sur notre continent. Pour moi, c’est cette voie qui nous permettra de régler le problème de cette inégalité”, explique Pr Eva Marie Coll-Seck
L’immunologue sénégalais, Pr Tandakha Dièye, n’a pas dit le contraire.
“Nous avons des concepteurs, nous avons des scientifiques qui sont chevronnés, qui ont été à la bonne école et qui commencent pratiquement à mettre au point tout cela”, affirme-t-il.
Pr Dièye fait lui aussi appel à l’appui des Etats africains et des bailleurs de fonds, pour y arriver.
“Je pense qu’il suffit seulement que nos états nous appuient et que certains bailleurs de fonds nous apportent leurs soutiens”, dit-il.
Dans ce domaine, l’Union africaine a noué mi-avril un « partenariat pour la fabrication de vaccins africains » (PAVM) avec pour objectif de créer cinq pôles de recherche et de fabrication de vaccins sur le continent. Un accord a été signé avec la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (Cepi), la banque panafricaine Afreximbank (Africa Export-Import Bank) et l’Africa Finance Corporation, une institution financière panafricaine.
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Texte: BBC Afrique
Publié le 02 MAI 2021