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IVG – Aux États-Unis, le droit à l’avortement plus que jamais menacé

Exode 20:13

”Tu ne tueras point.”

IVG – Aux États-Unis, le droit à l’avortement plus que jamais menacé

L’Idaho, la Floride et l’Oklahoma ont récemment pris des mesures très restrictives contre l’avortement. La Cour Suprême pourrait aussi remettre en cause l’accès à l’IVG, garanti depuis 50 ans par l’arrêt Roe v. Wade.

ÉTATS-UNIS – L’accès à l’avortement n’en finit pas d’être entravé aux États-Unis. Jeudi 14 avril, la Floride a promulgué une loi interdisant l’IVG après 15 semaines de grossesse. Elle doit entrer en vigueur cet été. C’est le dernier épisode en date d’une offensive des conservateurs contre ce droit accordé en 1973 dans l’historique arrêt de la Cour Suprême Roe v. Wade.

Avant la Floride, le Kentucky avait déjà adopté mercredi l’une des lois les plus restrictives du pays effective immédiatement, fermant les deux dernières cliniques de l’État où l’IVG était encore pratiqué et interdisant l’avortement après 15 semaines. La veille, le gouverneur de l’Oklahoma avait signé un texte interdisant l’avortement sauf en cas de danger pour la vie de la mère. Dans le cas contraire, toute personne pratiquant une IVG encourt 10 ans de prison et 100.000 euros d’amende. La loi doit entrer en vigueur fin août. Autre exemple, fin mars, l’Idaho a autorisé les poursuites civiles contre les professionnels de santé pratiquant des avortements.

Être exhaustif est impossible: entre le 1er janvier et le 31 mars 2022, 529 textes comptant restreindre l’accès à l’IVG dans 41 États ont été introduits, selon l’institut pro-choix Guttmacher. L’IVG médicamenteuse, qui représente plus de la moitié des interruptions de grossesse, est aussi dans la ligne de mire des conservateurs. Depuis le début de l’année, 104 textes ont été introduits dans 22 États pour limiter l’avortement par ce biais.à

Roe v. Wade remis en cause

Seulement une poignée des textes votés sont pour l’instant entrés en vigueur et beaucoup sont bloqués en justice, mais la tendance est réelle. En 2021, 108 textes anti-avortement sont devenus des lois. C’est le chiffre le plus élevé en une année depuis Roe v. Wade, remarque l’institut. Pourquoi une telle offensive? Les États conservateurs “submergent les parlements locaux de projets de loi restrictifs en espérant que la protection fédérale sur le droit à l’avortement soit bientôt supprimée”, analyse l’institut Guttmacher.

Actuellement, l’IVG est protégée par l’arrêt de la Cour Suprême Roe v. Wade ainsi que par l’arrêt Planned Parenthood v. Casey de 1992. Ce dernier autorise l’avortement jusqu’à environ 23 semaines, lorsque le fœtus n’est pas viable. En vertu de ces deux précédents, les lois plus restrictives sont donc inconstitutionnelles.

Mais lors de sa présidence de 2016 à 2020, le Républicain Donald Trump a eu l’opportunité de nommer trois juges à la plus haute juridiction américaine, dont Amy Coney Barrett qui a remplacé l’icônique Ruth Bader Ginsburg. Donald Trump s’est attaché à choisir des figures très conservatrices, notamment sur le droit à l’avortement, afin de le remettre en cause. Aujourd’hui à la Cour se trouvent neuf juges dont six sont conservateurs. L’arrivée de la progressiste Ketanji Brown Jackson ne changera en rien l’équilibre en vigueur puisqu’elle remplace un juge pro-avortement.

Le futur du droit à l’avortement dans les mains de la Cour Suprême

La Cour a vite montré ses intentions en matière d’avortement. L’été dernier, elle a refusé de bloquer la loi anti-IVG la plus stricte du pays votée au Texas. Conséquence, depuis le 1er septembre, l’avortement est interdit en cas de viol ou d’inceste dès que les battements de cœur du fœtus sont perceptibles, soit environ après six semaines de grossesse. Une période où beaucoup de femmes ignorent qu’elles sont enceintes.

Cette loi texane permet aussi de poursuivre en justice toute personne, du conducteur Uber au personnel médical, qui aurait aidé à réaliser un avortement. Mais le texte est écrit de telle sorte qu’il ne revient pas aux autorités de faire respecter la mesure, mais que ce sont les citoyens qui sont encouragés à porter plainte. Ce dispositif rend plus difficile l’intervention des tribunaux fédéraux qui ont refusé jusqu’ici de se saisir des recours contre la loi. Ainsi, de nombreux États copient le Texas pour bannir l’avortement sans risquer un blocage en justice.

L’autre espoir des anti-avortement réside dans la stratégie adoptée par le Mississippi, qui a interdit l’avortement après 15 semaines même en cas de viol ou d’inceste. Inconstitutionnelle, la loi a été tout de même promulguée afin que la justice s’empare du dossier, qu’il arrive sur le bureau des juges de la Cour Suprême et que le droit à l’avortement soit revu. Ce dossier, appelé Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, a été débattu à la Cour Suprême en décembre 2021 et la décision doit être rendue en juin ou juillet.

“Il est clair que la Cour va revenir sur Roe, tranche Anne Deysine, auteure de Les États-Unis et la démocratie (L’Harmattan). L’avortement sera encore licite mais dans des conditions particulières, sans inclure le viol ni l’inceste.” Elle rappelle que finalement, “l’avortement ne sera possible que jusqu’à 15 semaines, qui est le délai en Europe. La Cour Suprême a fait une énorme erreur en 1973. Il était trop tôt pour une telle décision, la population n’était pas prête et le délai beaucoup trop long”.

La Californie et le Vermont contre-attaquent

En prévision d’une décision qui leur donnerait raison, 13 États conservateurs ont préparé des “trigger-law”, des lois déjà prêtes interdisant totalement ou presque l’avortement qu’ils pourront dégainer dès que la Cour Suprême donnera son feu vert, détaille Guttmacher. C’est le cas du Missouri, de l’Oklahoma ou du Tennessee.

Cependant en 2022, “la population est prête à accepter l’IVG, les progressistes comme les gens de droite. Pas que ce soit illimité, mais si on a été violée, on doit pouvoir avorter car c’est une atteinte terrible au corps de la femme”, ajoute Anne Deysine. C’est pourquoi 16 États et le District de Columbia (capitale fédérale) contre-attaquent pour protéger ce droit constitutionnel. Par exemple, le Vermont tente d’ajouter un amendement dans sa constitution afin de protéger le droit à l’avortement. Un référendum doit être organisé à l’automne.

Le gouverneur de Californie, État qui protège déjà l’avortement dans sa constitution, a également promis d’être un “sanctuaire” pour toutes les femmes souhaitant avorter et ne pouvant pas le faire dans leur État. “Nous essayons de trouver des moyens pour nous préparer à ce scénario inévitable. Nous regardons comment étendre nos protections”, a déclaré Gavin Newsom en décembre, rapporte AP.

L’administration démocrate se range de leur côté. “Protéger le droit reconnu dans Roe v. Wade continue à être une priorité pour l’administration Biden-Harris”, a déclaré la porte-parole de la Maison-Blanche Jen Psaki après la promulgation de la loi de l’Oklahoma. “L’administration Biden continuera de soutenir les femmes en Oklahoma et dans tout le pays dans le combat pour défendre leur liberté et leur droit de faire leur propre choix pour leur futur.”  Toutefois, pointe Anne Deysine, “le pouvoir judiciaire est indépendant et puissant. Joe Biden ne pourra rien faire”.

Huffington Post

Publié le 16 AVRIL 2022

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